Bergson, from his garden chair to the public space // Bergson, de la chaise de jardin à la place publique

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Henri Bergson makes his entrance in the Open Commons of phenomenology. His main works : L’essai sur les données immédiates de la conscience (Time and free will), Le rire (Laughter), Matière et Mémoire (Matter and Memory), L’évolution créatrice (Creative Evolution), L’énergie spirituelle (Spiritual Energy)Durée et simultanéité (Duration and Simultaneity), Les deux sources de la morale et de la religion (The two sources of Morality and Religion), La pensée et le mouvant (Creative Mind) are now referenced. But my own research on the relation between the First World War and Bergson revealed to me an aspect of Bergson that those works do not show. Indeed, beside the work that made him famous, Bergson has been at his time an important political actor, and this action is quite unknown, since partly secret – and in totality a little embarrassing to us, pertaining to what we nowadays regard as “war propaganda”.

The image of Bergson is usually that of an intellectual detached from the world : you can see him here in his garden, in his costume and his top hat ; you can see him as a bourgeois and corseted thinker, lost in the subtilities of inner life, harmless and without courage, a philosopher with pure hands ; for others this contemplative detachment, this wish to retrieve from the world and to defend, in a time of growing mechanization, the irreductibility of the mind, is the heart of his contribution to philosophy. But in both cases, those images rely on the same idea : Bergson was detached from his time, he was a thinker of the intimate subject, but not a political and a social thinker and actor – and although this is probably the image he himself wished to leave, it is a false one, or only a partial truth.

Admittedly revolt does not boil in his blood. His political engagement comes late, and is not exactly revolutionary. A meaningful example is that of the Dreyfus affair that launched a passionate debate at the end of the XIXth century : Bergson did not take part in it although he himself was a Jew. The trigger is 1914. When the war starts, Bergson leaves his reserve, “comes out of himself” according to his friend Xavier Léon, leaves his garden chair, and goes on the public place to encourage his compatriots to annihilate the German “barbary”. As many other intellectuals unable to go to the front, the frustration of inaction led him to mobilize in another way and to use his pen, and his philosophical concepts, as war weapons.

The Great War is therefore for Bergson the point when he decides to engage himself in the world. In that sense it marks a turn. With no exaggeration we can say that Bergson was one of the most politically active intellectual of his time : during the war he dedicated all of his time to politics, and continued after the war, until his health did not allow him to go on – politics therefore had become a real passion. Among other things, he went during the war on a secret mission to the United States in order to convince the president (Woodrow Wilson at the time) to enter the war on the French side. If this mission, as Philippe Soulez argues in Bergson politique, succeeded, and if Bergson indeed had an influence on Wilson, pulling the strings in the shadows, then the impact of this philosopher on the course of politics truly has huge consequences, with few equivalents in the history of intellectuals…

But this action does not really echo on the proper philosophical work – neither on the pre-war work obviously, dealing with the problems of time and space, of subjectivity, of biological evolution – nor on the Two Sources, published fifteen years after the war – a book in which Bergson speaks of the war, but without ever making explicit the role he himself actively played in it. To investigate the influence of the First World War on this philosopher, is therefore to investigate the presence of a sort of ghost, of an invisible principle but – according to me – entirely remodeling – and to study through Bergson’s figure, the paradoxical figure of an intellectual who gives the impression of detachment but in fact deeply cares about fulfilling his role in society and having an influence on the course of things. In Bergson’s case the relation between philosophical thought and political action has complex dynamics, of destabilization, embarrassment and contradiction, but this partly hidden side of his personality is one without which the last developments of his work cannot fully be grasped.

 

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Bergson fait son entrée dans les open common de la phénoménologie. Toutes ses grandes oeuvres (L’essai sur les données immédiates de la conscience, Le rire, Matière et Mémoire, L’évolution créatrice, L’énergie spirituelle, Durée et simultanéité, Les deux sources de la morale et de la religion, la Pensée et le Mouvant), sont désormais référencées. Cela dit mes propres recherches sur la relation de Bergson à la première guerre mondiale portent sur une facette du philosophe que ces oeuvres ne peuvent pas renvoyer. En effet, à côté de l’oeuvre qui le rendit célèbre, Bergson a été, de son temps, un important acteur de la politique, et cette action est peu connue, puisqu’en partie secrète – et en totalité un peu embarrassante puisqu’elle relève de ce qu’on qualifie aujourd’hui de “propagande de guerre”.

L’image de Bergson est celle en général d’un intellectuel détaché du monde ; on le voit ici, dans son jardin, son costume, son haut de forme ; selon la sensibilité on le voit ici comme un penseur bourgeois et corseté, perdu dans les subtilités de la vie intérieure, anodin et sans courage, aux mains pures ; pour d’autres ce désintéressement contemplatif est sa vertu, ce souci de se retirer du monde et de défendre, dans une époque de mécanisation croissante, l’irréductibilité de l’esprit, est le coeur de son apport à la philosophie. Ca c’est selon sa sensiblité ; en tout cas ces deux images reposent sur la même idée : que Bergson fut détaché de son temps, et qu’il fut un penseur du sujet intime et non un penseur et un acteur social et politique – et quoique ce soit l’image qu’il ait probablement lui-même souhaité laisser, elle est fausse, ou elle n’est une vérité que partielle.

Certes, il n’a pas la révolte dans le sang. Son engagement est tardif, et pas vraiment révolutionnaire. Un exemple très révélateur, c’est que lorsque l’affaire Dreyfus déchaîne le débat en France à la fin du XIXe, et alors qu’il est lui-même juif, il ne s’exprime pas. Le déclic ne viendra qu’en 1914. Lorsque la guerre se déclare, Bergson quitte sa réserve, “sort de lui-même” pour employer une expression de son ami Xavier Léon, sort de sa chaise de jardin, et va sur la place publique pour encourager ses compatriotes à anéantir la “barbarie” allemande. Comme de nombreux autres intellectuels incapables de se rendre au front, la frustration de l’inaction le pousse à s’engager sous une autre forme et à utiliser sa plume, et ses concepts philosophiques, comme armes de guerre.

La Grande Guerre, cela marque donc pour Bergson la décision de s’engager dans le monde, cela marque un tournant. On peut dire que Bergson, qui se met alors à consacrer la quasi intégralité de son temps à la politique et interrompt temporairement ses recherches philosophiques, fut un des intellectuels les plus actifs sur ce plan. Entre autres il partit en mission secrète aux Etats-Unis pour convaincre le président de s’engager auprès de la France. Or, si cette mission, comme l’argumente Philippe Soulez dans Bergson politique, a réussi, et que Bergson a en effet eu, en manoeuvrant dans l’ombre, une influence sur la décision de Woodrow Wilson, alors l’impact de ce philosophe sur le cours de la politique a véritablement des conséquences énormes, qui ont peu d’équivalent dans l’histoire des intellectuels…

Mais cette action Bergson n’en fait pas vraiment écho dans l’oeuvre à proprement parler, – ni dans l’oeuvre avant-guerre bien entendu, qui porte sur la philosophie du temps, du sujet, de l’évolution biologique – ni dans Les deux sources de la morale et de la religion, publié quinze ans après la guerre – qui évoque la guerre, mais sans jamais rendre explicite le rôle actif que son auteur y a endossé. Explorer l’influence de la première guerre mondiale sur ce philosophe c’est donc explorer la présence d’une sorte de fantôme, d’un principe invisible mais selon moi complètement remodelant – et dans la figure de Bergson, celle paradoxale d’un intellectuel qui donne l’apparence d’un retrait du monde mais qui a au fond très à coeur d’y jouer son rôle et d’y exercer son influence. La relation entre la réflexion philosophique et l’action politique est une relation aux dynamiques complexes, de déstabilisation, d’embarras, de contradictions, mais cette facette en partie cachée de sa personne est indispensables pour comprendre les derniers développements de la pensée bergsonienne.

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